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Algues : un savoir-faire finistérien

Après des débuts timides, les algues ont pris leur place en cuisine ou elles apportent une touche originale qui favorise la créativité. Suite de notre entretien avec Henri Courtois fondateur de la société Bord à Bord implanté à Roscoff dans le finistère.

  •  Combien trouve-t-on aujourd’hui d’algues comestibles sur le marché?

Henri Courtois – Rien que sur Roscoff, il y a entre 700 et 800 espèces d’algues différentes et contrairement aux champignons, il n’y a pas d’espèces toxiques. En revanche, il y en a qui sont meilleurs que d’autres. Nous en commercialisons six espèces. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas consommer les autres mais elles présentent moins d’intérêts ; parce que certaines sont trop dures ou amères, d’autres présentent une biomasse infime, d’autres encore sont caoutchouteuses… Il faut savoir qu’en France, l’algue n’est pas un aliment de consommation traditionnel et que nous sommes soumis au respect de ce que l’on appelle la liste positive. C’est-à-dire que réglementairement, seules une petite vingtaine d’espèces répertoriées dans cette liste sont considérées comme étant comestibles. Mais parmi celles-ci, certaines sont essentiellement utilisées pour décorer les bancs d’exposition chez les poissonniers. Nous, nous avons choisi de travailler des algues, qui en termes de goût, de texture et de couleur, s’intègrent parfaitement dans l’alimentation.

 

  • Peut-être pas en Bretagne, mais au niveau national, c’est un marché qui reste mal connu. Comment se porte-t-il?

Cela fait 22 ans que nous sommes sur ce secteur et cela fait 22 ans qu’il progresse. Certes, nous sommes partis de pas grand-chose mais nous progressons régulièrement et ce développement s’est accentué ces dernières années. Chez Bord à Bord par exemple, nous avons doublé notre croissance en trois ans.

  • Comment les algues sont-elles le plus souvent utilisées en cuisine, en frais ou en sec ?

Si vous vous adressez à un cuisinier investi dans son travail, il voudra mettre sa petite touche autour de la matière première – ce qui est tout à son honneur – et préfèrera travailler une algue la plus naturelle et la plus fraîche possible. Il optera donc pour des algues fraîches conservées dans du sel qu’il lui appartiendra de dessaler selon la quantité dont il aura besoin. Outre le fait d’être un conservateur, l’emploi du sel que l’on utilise pour les algues, joue aussi un rôle dans l’affinage du produit et ce de deux manières. Premièrement pour la texture qui pour certaines algues sera moins coriace ; c’est notamment le cas de la dulse, une algue rouge assez dure au sortir de la mer qui une fois travaillée au sel, devient tendre… Si vous utilisez une algue brune du type wakamé, spaghetti de mer ou kombu royal, outre le fait de les attendrir, le sel va permettre d’en retirer quelques polyphénols et donc d’effacer l’amertume.

 

  • En cuisine, quel en est l’usage le plus courant? Est-ce en condiments? En légumes?

Je préfère parler de condiments lorsqu’il s’agit d’algues fraîches ou d’algues déshydratées, même si c’est un peu réducteur. Mais contrairement à certains de mes confrères, je réfute l’appellation de légumes ! Tout simplement parce que c’est un aliment qui est globalement méconnu ; si vous parlez d’emblée de légume, vous allez induire une erreur de dosage dans la tête de l’utilisateur, qu’il soit chef ou particulier. Je me souviens qu’à la création de Bord à Bord, je parcourais les marchés et des salons toutes les semaines, cela m’a permis de peser la portée du message. Je me rappelle notamment d’un chef qui préparait un livre sur la cuisine aux algues. Il s’est adressé à moi parce qu’il ne parvenait à obtenir les saveurs qu’il souhaitait. Nous avons revu ensemble les recettes et en observant les quantités mises en œuvre, je me suis vite rendu compte que le problème était là. Il en mettait trop. Il a corrigé et c’était bon.

 

  • Pourriez-vous nous dire quelles sont les différentes textures et saveurs que l’on trouve dans les algues?

Si vous parlez de la laitue de mer, vous allez avoir des saveurs d’oseille et d’épinard ; avec la nori, vous aurez une saveur de thé fumé, de champignon et un peu d’huître. Avec la dulse qui est plus iodée, on trouve des saveurs rappelant celles des crustacés. De son côté, le wakamé présente un léger goût d’huître et des notes végétales. C’est l’algue la plus douce, la plus abordable aussi pour un palais non averti. Ensuite, on trouve le spaghetti de mer offrant une saveur marine importante, mais si vous le blanchissez, il va tout de suite devenir beaucoup plus doux et pourquoi pas trouver sa place avec des haricots verts? Enfin, si vous choisissez de travailler le kombu royal, vous arrivez à l’échelle supérieure de l’iodé qui est sa caractéristique première. On peut l’utiliser pour envelopper un poisson, une volaille, cette algue imprimera une saveur iodée intéressante au produit. Si vous la travaillez en la blanchissant un peu et que vous l’émincez pour accompagner une salade de crudités ou un poisson, c’est également superbe. L’autre usage, peut-être le plus simple, c’est de préparer un beurre aux algues qu’on laisse infuser un certain temps pour rehausser un poisson grillé ou sur du pain avec des radis.

  • Existe-t-il une spécificité bretonne dans la culture de l’algue ?

Oui, 90 à 95% des algues françaises proviennent de Bretagne et plus particulièrement de la pointe bretonne. En termes de ressources, c’est avant tout le Finistère qui arrive en tête.

 

  • Quelles sont les régions françaises où l’on consomme le plus d’algues?

Nul n’est prophète en son pays mais les régions côtières se sont bien appropriées le produit et le paysage a beaucoup changé ; la Bretagne est devenue une région intéressante en termes de consommation d’algues.

 

Nous fournissons le chef Nicolas Conraux pour certaines de ses recettes signatures comme le foie gras à la dulse. Il propose également à sa carte, une remarquable recette d’ormeau à la dulse. Il faut savoir que l’on peut marier une huître avec une algue nori car les deux produits ont le même biotope ; en effet, on trouve souvent cette algue sur les poches d’huîtres. Pour ce qui est de l’ormeau – un gastéropode – son met favori est la dulse. Ces deux produits sont très copains en mer et très copains dans l’assiette ! Leurs saveurs se renforcent entre elles.

 

  • Vous proposez aujourd’hui six variétés d’algues. Votre gamme est-elle amenée à se développer?

Nous y travaillons. D’autres algues sont intéressantes et les grands chefs nous interrogent régulièrement sur le sujet

  • Peut-on dire que l’essor de la cuisine japonaise en France a contribué à l’essor de votre activité?

Il est clair que la cuisine japonaise a contribué à faire accepter l’algue au niveau du consommateur. Maintenant, il ne faut pas oublier notre propre identité et nous devons nous appliquer à présenter l’algue sous un angle complétement différent de celui de la cuisine japonaise. C’est d’ailleurs ce à quoi nous assistons aujourd’hui : une appropriation de l’algue dans la cuisine française et plus globalement européenne.

 

  • Exportez-vous votre production?

Oui mais comme nous sommes sur des produits frais, nous ne cherchons pas à aller trop loin pour des raisons de coût. Globalement, nous suivons la filière poisson.

 

  • On parle beaucoup de sécurité alimentaire. Comment est surveillée la production d’algues?

Comme tous les animaux marins, l’algue a un bon potentiel de concentration en métaux lourds et en radioactivité. La qualité de l’eau dans laquelle vous récoltez les algues est donc déterminante et est naturellement très surveillée. Pour ce qui nous concerne, nous avons choisi de répondre aux normes d’un label biologique. Même si la différence est à priori infime avec les algues naturelles, il y a beaucoup plus d’indicateurs vérifiés sur les masses d’eau dans lesquelles poussent les algues. Il faut savoir que de grandes masses d’eau ont été définies par le gouvernement qui suit ici une directive européenne. Ces masses d’eau sont vérifiées par l’Agence de l’Eau – cela est valable pour tout le monde ! – et au sein de ces masses ont été définies des sous-zones dans lesquelles on prélève chaque mois des coquillages qui sont soumis à des analyses. C’est dans ces sous-zones que nous récoltons nos algues qui présentent ainsi toutes les garanties. On ne le sait peut-être pas, mais au niveau mondial la Bretagne est reconnue comme une région propice à la récolte d’algues de qualité.

 

Retrouvez dans vos assiettes, les algues de Bord à Bord. Le chef Nicolas Conraux, propose des recettes signatures comme le foie gras à la dulse.