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Sylvain Huchette : tout ce qu’il faut savoir sur l’ormeau et ses méthodes de production
Coquillage rare au goût subtil et à la texture unique, l’ormeau fait partie des trésors de la mer que les plus grands chefs aiment travailler. Sylvain Huchette, pionnier dans l’élevage sous label bio de ce mollusque très protégé à l’état sauvage, nous dit dans cette interview exclusive, tout ce qu’il faut savoir sur cette espèce fragilisée par un environnement naturel aux équilibres menacés.
Le Journal de La Butte – Quand et pourquoi vous êtes-vous lancé dans l’aventure France Haliotis ?
Sylvain Huchette – Je me suis lancé dans ce projet à la fin de mes études en aquaculture et biologie marine. Je venais juste de terminer mon doctorat sur les abalones (nom américain de l’ormeau) australiennes et leur écologie. L’ormeau français restait une espèce peu connue devenant de plus en plus rare au fil des années. J’ai fait le pari de rendre son élevage économiquement viable, tout en m’assurant de la pérennité de l’espèce en élevage en améliorant nos connaissances scientifiques.
LJLB – Depuis le début, vous avez été porté par l’envie de vous inscrire dans le développement durable et responsable. Comment cela se concrétise-t-il au quotidien ?
S.H – Après avoir étudié l’écologie marine pendant des années et constaté la fragilité des écosystèmes marins sur lesquels les activités humaines impriment une pression croissante, il m’a semblé tout naturel d’essayer de développer une activité alternative, plus durable et responsable. L’élevage de France Haliotis s’est construit autour d’une espèce locale (l’ormeau breton : Haliotis tuberculata) et des algues locales qui constituent son alimentation naturelle. Au quotidien, nous essayons de réduire au maximum l’impact de notre activité : des densités d’élevage faibles, une activité de récolte des algues rythmée par les saisons et les marées, une gestion précise et durable des zones de production d’algues de rive, un recyclage de nos déchets… Et récemment, nous avons installé des panneaux solaires pour produire une partie de l’électricité que nous consommons.
LJLB – Le label Écocert qui certifie votre production biologique, est l’un des plus exigeants. Que garantit-il au consommateur ?
S.H – Écocert vérifie chaque année que notre production respecte bien les règles de la production selon le cahier des charges Agriculture Biologique – Le terme Aquaculture Biologique serait plus juste ! Pas d’intrants chimiques ou pharmaceutiques, des eaux de rejet non polluées par notre activité, la collecte de nos algues fourrage dans des zones de bonne qualité environnementale et une gestion maîtrisée et durable de nos récoltes.
LJLB – L’ormeau reste en Bretagne, un coquillage associé à la pêche à pied… Comment se porte la population en milieu naturel ?
S.H – Après les fortes mortalités des années 90 liées à un pathogène bactérien – jusqu’à 80/90 % de mortalité – les populations sauvages d’ormeaux semblent aujourd’hui stabilisées. Il est pratiquement impossible d’avoir un état de santé précis des populations naturelles car aucun suivi officiel n’est pratiqué. Les seules informations que nous pouvons avoir restent imprécises et souvent basées sur des observations anecdotiques. Mais les mesures de lutte contre la pêche illégale sont sévères et dissuasives. La production de la pêche professionnelle reste très faible avec environ 40 tonnes par an en comparaison des 120 tonnes annuelles du début des années 90. Nous ne connaissons pas les quantités prélevées par les pêcheurs à pied.
LJLB – Comme toute entreprise liée à la nature, on imagine l’élevage d’ormeaux fragile. Quels sont les risques majeurs ?
S.H – La plupart des populations d’ormeaux sur la planète sont en déclin ! L’ormeau est un animal délicat par certains côtés et extrêmement rustique et résiliant par d’autres. Nous sommes particulièrement vigilants sur les changements environnementaux liés aux activités humaines, et notamment sur l’utilisation irraisonnée des pesticides qui sont une menace insidieuse mais dont les conséquences sur notre environnement vont bien au-delà de ce qu’on imagine. Nous ne connaissons pas les effets à moyen ou long terme des pesticides sur notre environnement. Par exemple, les anti-limaces que nous utilisons dans nos potagers ou nos champs ont vraisemblablement un impact démesuré sur les coquillages marins. Les changements climatiques sont également à prendre en compte : la situation ira en se dégradant dans les années à venir et il va nous falloir imaginer des parades nouvelles et coûteuses pour faire tourner nos élevages. Enfin, l’acidification de l’océan reste sans doute la menace la plus inquiétante car elle a un effet direct sur l’énergie nécessaire pour la construction de la coquille des mollusques.
LJLB – Concrètement, comment se déroule l’élevage ? Sur combien de temps ? Quelles en sont les principales étapes ?
S.H – L’élevage des ormeaux se déroule en trois grandes étapes : la reproduction, l’élevage en nurserie et le grossissement en mer. La reproduction de l’ormeau est une étape brève mais délicate. Les géniteurs sont sélectionnés parmi nos animaux d’élevage et leur reproduction est assurée en été. L’ormeau est très fécond et nous obtenons facilement des millions de larves pour notre élevage. Les juvéniles sont élevés en bassins à terre pendant une période d’un an pour leur laisser le temps d’atteindre environ 10 à 15 mm avant d’être transférés en mer. Ils sont nourris d’algues de culture pendant toute cette période. Ensuite, les ormeaux restent deux ans et demi en mer dans nos cages d’élevage ; ils y sont nourris chaque mois avec des algues de rive choisies et cueillis à la main localement. Les algues restent vivantes dans nos cages jusqu’à ce que les ormeaux les mangent.
LJLB – En dehors des excellentes conditions sanitaires qu’ils présentent, quelles sont les caractéristiques gustatives de vos ormeaux et sont-elles variables avec l’âge ?
S.H – Au fil des années, nous avons appris que les meilleurs sont des ormeaux jeunes et charnus. Les algues qu’ils consomment en fonction des saisons leur donnent des qualités gustatives particulières, voire des goûts différents. Étonnamment, les caractéristiques gustatives de nos ormeaux ont bien évolué au fil des années. Nous connaissons mieux les besoins nutritionnels ou zootechniques de nos animaux. Ils grandissent plus vite et atteignent leur taille de vente plus jeunes et plus charnus. Les caractéristiques gustatives des ormeaux vont également changer en fonction des saisons. Coraillés en été (le corail de l’ormeau bien préparé est excellent à manger et très bon pour la santé), ils sont extrêmement charnus en automne et en hiver.
LJLB – Quelle est la partie de votre production destinée à l’export ?
S.H – Dans l’esprit de l’agriculture biologique, nous préférons commercialiser nos ormeaux localement et en circuit court (boutique sur la ferme ou directement auprès des restaurateurs locaux). Plus de 90 % de nos ormeaux restent en France. Quelques chefs exigeants sur la qualité de leurs produits ou particulièrement sensibles au développement durable demandent nos produits à l’étranger : en Suède, en Suisse, en Allemagne ou à Hong Kong… Les volumes fluctuent d’une saison à l’autre mais restent généralement inférieurs à 10 %.
LJLB – Qui sont vos clients ?
S.H – Au fil des années, France Haliotis a développé une clientèle qui ferait rêver les gastronomes : restaurants étoilés pour beaucoup. Nous avons une relation privilégiée avec nombre de chefs et des discussions régulières avec eux sur nos produits et la façon de les préparer. C’est très valorisant pour nous et passionnant. En Bretagne, pour n’en citer que quelques-uns, nous travaillons avec Nicolas Conraux (La Butte), Hugo Roellinger (Le Coquillage), Philippe Emanuelli (Ar Men Du), Xavier Pensec (Hinoki), Lionel Hénaff… Les plus connus de nos clients sont doublement ou triplement étoilés.
LJLB – Quelles sont les recettes de ces grands chefs qui vous ont le plus touché ?
S.H – L’ormeau à la dulse de Nicolas Conraux à La Butte est une recette ancrée sur notre terroir qui est devenue un classique pour les ormeaux. L’ormeau breton à la japonaise cuit dans un bouillon de saké et de kombu de Xavier Pensec au restaurant Hinoki à Brest est étonnant et d’une grande finesse. L’ormeau aux cèpes de Philippe Emanuelli (Ar Men Du) associe admirablement les textures et les goûts du champignon et de l’ormeau. Je pense aussi à l’ormeau aux asperges et noisette de Pascal Devalkeneer au Chalet de la Forêt, à l’ormeau de Jean-François Rouquette au Park Hyatt Paris-Vendôme…
LJLB – Vous êtes aujourd’hui la seule entreprise à pratiquer l’élevage d’ormeaux sous le label Écocert… Pourquoi ? Y a-t-il des tentatives d’implantations ailleurs en prévision ?
S.H – Nous avons atteint un niveau de maîtrise technique de l’élevage de l’ormeau qui permet d’imaginer d’autres installations en Bretagne. Notre réussite suscite naturellement d’autres projets. J’espère juste qu’ils se feront avec le même souci de développement durable et de respect de l’animal et de son bien-être.
LJLB – L’ormeau est-il amené à rester un coquillage confidentiel ?
S.H – L’élevage industriel de l’ormeau connaît actuellement un essor rapide et exponentiel en Chine et dans d’autres pays du monde comme la Corée, l’Australie ou l’Afrique du Sud. Les quantités produites atteignent des records : plus de 100 000 tonnes en 2018, mais c’est souvent au détriment de la qualité des ormeaux. C’est fait dans une logique industrielle avec le recours à des aliments artificiels à base de farine de poisson, ce qui est un comble pour un animal herbivore ! Nous espérons qu’il restera une place pour notre mode d’élevage plus artisanal et respectueux de l’environnement !
Propos recueillis par Bruno Lecoq
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Du produit à l’assiette
Le meilleur de l’ormeau en quatre recettes !
Incontournable à La Butte où il illumine les cartes depuis des décennies, l’ormeau s’y réinvente chaque année dans les assiettes. Qu’il soit traité de façon traditionnelle ou qu’il s’inscrive dans une proposition plus créative, ce coquillage qui trouve dans les eaux marines du Finistère son biotope idéal, peut cependant s’inviter chez vous en toute simplicité. Voici quatre recettes qui ont fait leur preuve et séduiront les palais les plus exigeants.
Ormeaux sautés, sauce soja
Pour 4 personnes
Préparation : 10 minutes
Cuisson : 10 minutes
Ingrédients :
8 ormeaux
250 g de pâtes Le Ruyet
50 ml de sauce soja
100 ml d’huile de sésame
100 ml d’huile de pépin de raisin
50 g d’échalotes ciselées
50 ml de vinaigre de xérès
20 g de beurre
Taper légèrement les ormeaux et les émincer. Cuire les pâtes Le Ruyet, égoutter et refroidir. Préparer le condiment en mélangeant le vinaigre de xérès, la sauce soja, les échalotes puis monter avec les huiles. Sauter les ormeaux rapidement au beurre, ajouter les pâtes, bien lier le tout. Au dernier moment, assaisonner avec le condiment.
Ormeaux sauvages et dulse de Roscoff
Pour 4 personnes
Préparation : 10 minutes
Cuisson : 10 minutes
Ingrédients :
12 ormeaux
5 pommes de terre
50 g de dulse
5 g de fécule
50 g d’échalotes
15 g de dulse
10 ml de vin blanc
10 ml de jus de volaille
50 g de beurre
Taper légèrement les ormeaux et les garder au frais. Dérouler les pommes de terre en tranches très fines, puis les mouler dans un cadre en superposant les pommes de terre, la dulse et un peu de fécule, presser en sac sous-vide et cuire en vapeur. Sauter les ormeaux au beurre, les décanter, dégraisser le sautoir et suer les échalotes et la dulse. Déglacer au vin blanc, ajouter un trait de jus de volaille et monter au beurre. Colorer la pomme de terre au beurre noisette. Dresser dans les assiettes.
Ormeaux snackés, sauce gribiche
Pour 4 personnes
Préparation : 15 minutes
Cuisson : 10 minutes
Ingrédients :
4 ormeaux
12 mini-poireaux
12 coques
Pour la sauce gribiche :
1 œuf dur
20 g de laitue de mer
12 coques
100 ml d’huile d’olive
50 ml de vinaigre de xérès
Taper légèrement les ormeaux, les garder au frais. Blanchir les mini-poireaux, les sécher après cuisson et les brûler au chalumeau. Ouvrir les coques. Préparer la sauce gribiche : hacher l’œuf dur, la laitue de mer et les coque, lier à l’huile et vinaigre. Snacker les ormeaux et servir.
Ravioles végétales et ormeaux, sabayon de sureau
Pour 4 personnes
Préparation : 20 minutes
Cuisson : 10 minutes
Ingrédients :
8 ormeaux
1 céleri rave
2 oignons nouveaux
Pour le sabayon :
150 ml de sirop de sureau (non sucré)
150 g de jaune d’œuf
250 g de beurre clarifié
Taper légèrement les ormeaux, les émincer et les garder au frais. Découper des tranches très fines de céleri, les emporte-piécer et les blanchir légèrement croquantes. Émincer finement les oignons. Réaliser le sabayon : fouetter les jaunes d’œuf avec le sirop de sureau. Lorsque les jaunes sont émulsionnés, ajouter le beurre clarifié pour serrer la sauce. Sauter les ormeaux. Dresser les ormeaux dans les ravioles végétales de céleri, ajouter le siphon par-dessus et dresser quelques copeaux d’oignons.